Paris, mars 1986
Depuis quelques mois, les manchettes de journaux
ne cessent
de le clamer : la fameuse comète de Halley stationnera en
avril au
plus près de la Terre. Le précèdent passage remontait à 1910, et le
prochain
est annoncé pour 2061.
Diantre ! 2061 ? Considérant que seul
mon
optimisme est immortel, il y a urgence à vivre ce moment historique.
D’ailleurs,
où est-il donc visible, cet aérolite ? Tout simplement au…
Botswana.
Autrement dit, la porte à côté !
Qu’à cela ne tienne : le Botswana ou le
Pas-de-Calais, ce
n’est qu’une question de kilomètres. Donc, chaussons nos bottes de sept
lieues
et allons-y gaiement : !
Ma guitare sera mon agence de voyage : via la
valise
diplomatique (au quai d’Orsay), j’adresse mon fascicule -- honteusement
mercantile -- aux différentes ambassades des étapes qui m’intéressent.
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Info…
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ou intox ?
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Dans une courte missive, je leur tins à peu près
ce
langage :
« Monsieur le conseiller culturel,
Pour votre information, je séjournerai dans
votre pays
de résidence entre le lundi xxx (atterrissage prévu à xxx) et le
mercredi xxx
(décollage prévu à xxx).
Vous saisirez l’immense opportunité que
représente mon
passage ! Je vous propose donc d’organiser, avec des acteurs
locaux si
nécessaire, un concert le mardi xxx à xxx heures. Mon cachet s’élèvera
à xxx francs. »
Bien vite, je reçois par télex les invitations
officielles
pour des représentations au Zimbabwe, en Zambie, au Swaziland, au
Malawi, en
Namibie, au Rwanda, au Congo puis, en rentrant, au Soudan et en
Éthiopie, le
point de retour étant évidemment le Botswana, la contrée la plus
rapprochée de
l’astéroïde.
Charge à l’agence UTA (qui dessert l’Afrique à
l’époque) d’organiser
le périple aérien.
Pour la première étape, l’atterrissage est prévu à
midi à Johannesburg,
pour un premier concert à 19 h à Gaborone (la capitale du
Botswana, à 4
heures de route)). Sur le papier, c’est jouable, en louant une voiture
à
l’aéroport de Johannesburg. Mais la fatigue ? Petit coup de fil à
l’une de
mes groupies, Edith, chef des relations publiques de la compagnie, qui,
dans
l’intérêt de la musique, me surclasse de manière à
ce
que je puisse dormir pendant les 11 heures de vol.
Tout se déroule comme prévu : arrivée à
Gaborone à
17 h, via à une voiture de location happée à Johannesburg. Seul incident notable : accident de
voiture à un carrefour, où le premier feu rouge du pays vient d’être
mis en
service. Mais, comme personne n’en comprend la signification, les
accrochages
s’y multiplient. Cela n’empêche que le concert se déroule en temps et
en heure.
L'épidémie de guitare s'étend à l'Afrique
Dîner à la résidence de l’ambassadeur et
dodo : la
comète, ce sera pour demain.
Journée bien remplie par différentes animations
dans les
établissements scolaires locaux. Et le soir, direction le désert, aux
portes de
Gaborone, pour contempler le spectacle d’une voie lactée
phosphorescente,
effectivement maculée d’une tache luminescente nommée Halley. Euh,
franchement,
le spectacle n’est pas inoubliable mais bon, compter parmi les happy
few est
une consolation.
Halley-y !
Il faut maintenant assurer la tournée, soit par
avion, soit
en voiture (les locations sont très bien organisées dans cette partie
de l’Afrique).
Mais ce voyage aura aussi son utilité : il
permettra
d’enrichir la collection d’étiquettes de bières – bières QU’IL A
BUES -- de
mon père, tégestophile invétéré. Autrement dit, il faut lui rapporter
des
bouteilles pleines, et surtout pas les seules étiquettes. Ainsi, pour le reste du voyage,
en plus de ma guitare, je serai harnaché d’une sacoche agrémentée d’un tintinnabulement
éloquent.
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Botswana :
Dans les bars de Gaborone !
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Burundi :
Dans les bars de Bujumbura
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Congo :
Sans la livraison quotidienne de Primus,
révolution assurée !
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Malawi :
Dans les bars de Lilongwe
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Namibie :
Dans les bars de Windhoek
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Rwanda :
Dans les bars de Kigali
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Afrique du Sud :
Dans les bars de Johannesburg
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Swaziland :
Dans les bars de Mbabane
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Zimbabwe :
Dans les bars de Harare
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Zambie :
Dans les bars de Lusaka
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Dans les tribus de la région :
Bières fermentées à la salive
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Tout se passe bien jusqu’à Kigali, au Rwanda, duquel
l’avion
d’Ethiopian Airlines doit me propulser à Addis Abeba, pour un concert
prévu le
lendemain.
A
5 h du matin, je découvre un aéroport envoloppé d'une épaisse nappe de
brouillard. C'est très beau, mais, évidemment, c'est inquiétant. Le
représentant d'Ethiopian est formel: "Je vous garantis que notre avion assurera l'escale".
Simultanément, un personnage en costume cravate, comprenant la
situation angoissante du seul volontaire sur ce vol, me lance: "Je
suis le ministre de la Santé; je me rends à Kampala avec mon avion
officiel. Venez avec moi ; de l'Ouganda, vous trouverez forcément une
correspondance".
C'est tentant, mis il n'y a aucune chance que j'atteigne Addis Abeba le lendemain. Je décline donc.
A
7 h, bruit rassurant de réacteurs à l'approche. Mais l'espoir est de
courte durée: après une apparition fantomatique, le jet remet les gaz
et reprend la direction de l'Ethiopie... sans moi.
Une apparitioin fantomatique
Catastrophe!
Comment diable m'évader de Kigali ? Prochain vol affiché : SABENA (la
compagnie belge) rejoindra Djeddah, en Arabie Saoudite, dans... 48
heures.
C'est
bien sûr trop tard pour le concert d'Addis Abeba, mais, via Djeddah, je
puis espérer me présenter à temps à Khartoum, pour le dernier concert
de la tournée, car je vois qu'il existe une correspondance, après une
escale de 24 heures dans l'aéroport saoudien. il m'est donc permis
d'espérer ne pas poser un lapin au jeune public Soudanais.
Afin
de pouvoir me reposer dans un hôtel de Djeddah, me reste à demander un
visa de transit pour l'Arabie Saoudite, dont le consul était justement
à mon concert. Accordé sur le champ.
J"embarque
donc en toute confiance dans l'aéronef belge. Mais avant l'atterrissage
une voix grésillante lance dans les haut-parleurs: "Chers
passagers, nous vous rappelons que les autorités saoudiennes
emprisonnent toute personne en possession d'une boisson alcoolisée".
Il est vrai que sur terre, les sourates dénoncent le vin comme étant
une affaire du Diable, mais que le vin est mentiionné dans le Coran
comme récompense pour les musulmans une fois au paradis..
L'annonce
a au moins le mérite d'être claire. Accablé, je réclame un décapsuleur
et rejoins les toilettes, toujours précédé du tintement héraldique de ma
sacoche.
À
Djeddah, les douaniers sont soupçonneux. Ils appellent un officier
supérieur qui renifle longuement mes bouteilles vides. C'est presque à
regret qu'il m'autorise le passage, mais fait jeter les précieux
flacons par des employés noirs. Courroucé, il me désigne la salle
transit.
- J'ai un visa, je peux donc sortir et dormir dans un hôtel, sacré nom d'Allah !
- Transit visa = transit lounge, Sir. No choice !
La
salle de transit est équipée d'une série de bancs spécialement étudiés
pour empêcher toute possibilité de s'y allonger. Une foule de pélerins
pakistanais revêtus de djellabas blanches occupe pratiquement tous les
sièges. Quant au seul buffet, même pas de plats indiens, mais seulement
des chicken wings étiques et des jus de fruits. Bref, une promesse de 24 heures de rêve.dans cette soue surpeuplée.
24 heures en bonne compagnie
- Mais qui vois-je : Jean-Pierre Jumez en personne !
C'est le chef d'escale d'Air France.
- Qu'est-ce que vous foutez ici ?
- Je suis attendu à Khartoum demain pour un concert dans le Grand Hall du Peuple.
-
Khartoum ? Mais vous êtes au courant que les vols pour le Soudan sont
perturbés car les Américains viennent de lancer des bombardements?
- Quelle bonne nouvelle vous m'annoncez là !
- Je vous signale qu'il me reste une seule place pour mon prochain vol pour Paris, qui décolle dans cinq heures.
- Ben... ma conscience professionnelle me dicte de prendre tous les risques pour honorer mes engagements.
- Comme vous voudrez. Bonne nuit quant même !
Le bal des correspondances
Évidemment, le doute
s'instille rapidement dans mon esprit, d'autant que ces hordes
annoncent clairement qui, même assis, je ne pourrai pas fermer l'oeil.
Quelques heures plus tard, le chef d'escale insiste :
- On embarque dans quinze minutes ; la place, je vous l'ai gardée au chaud.
Un moment plus tard, à ma grande honte, c'est devant une coupe de champagne que je suis assailli de remords.
Les larmes de la culpabilité
Mais deux mois plus tard, j'ai pu enfin honorer mes engagements à Addis Abeba et à Khartoum.
La poursuite de l'astre ne s'est, après tout, pas soldée par un désastre.
h du matin,
je découvre un aéroport enveloppé d’une épaisse nappe de brouillard.
C’est très
beau mais évidemment inquiétant. Le représentant d’Ethiopian est
formel : « Je vous garantis que notre avion va atterrir ».
Simultanément, un personnage en costume cravate, comprenant le dilemme
auquel
je suis confronté (je suis le seul volontaire pour ce vol), me
lance :
« Je suis le ministre de la Santé ; je me rends à
Kampala. Si
vous voulez, je vous propose une place dans mon avion officiel ;
de
l’Ouganda, vous trouverez forcément une correspondance ».
C’est tentant, mais
il y a peu de chance pour que j’atteigne Addis Abeba le
lendemain. Je
décline.
A 7 h, bruit
rassurant de réacteurs à l’approche. Mais l’espoir est de courte
durée :
après une apparition fantomatique, l’avion remet les gaz et s’éloigne
en
direction de l’Éthiopie …sans moi.
Une apparition fantomatique
|
Catastrophe !
Comment diable m’évader de Kigali ? Premier vol affiché :
dans 48
heures, SABENA (la compagnie belge), rejoindra Djeddah, en Arabie
Saoudite.
C’est évidemment
trop tard pour le concert en Éthiopie, mais, via Djeddah, je peux
espérer me
présenter à temps à Khartoum, pour le dernier concert de la tournée,
car je
vois qu’il existe une correspondance, après un arrêt de 24 heures. Je
peux donc
espérer ne pas poser de lapin aux jeunes Soudanais.
Afin de pouvoir me
relaxer dans un hôtel de Djeddah, me reste à demander un visa de
transit pour
l’Arabie saoudite, dont le consul était justement à mon concert.
Accordé
sur-le-champ.
J’embarque donc en
toute confiance dans l’aéronef belge. Mais avant l’atterrissage à
Djeddah : « Chers passagers, nous vous rappelons que
les
autorités saoudiennes emprisonnent systématiquement toute personne en
possession d’alcool ». L’annonce a le mérite d’être
claire.
Accablé, je réclame un décapsuleur et rejoins les toilettes, précédé de
mon
tintement héraldique…
À Djeddah, les
douaniers reniflent longuement les bouteilles, font appel à leur
hiérarchie
qui, d’un œil suspicieux, fait jeter les précieuses bouteilles par des
employés
noirs, mais me laisse passer… vers la salle de transit.
Mais j’ai un visa, je veux sortir et
dormir dans un hôtel, sacré nom d’Allah !
Transit visa = transit lounge.
La salle de transit
est équipée d’une série de bancs, spécialement étudiés pour qu’on ne
puisse pas
s’y allonger. Elle est remplie d’une foule de Pakistanais en djellaba
qui se
rendent au pèlerinage. Quant au seul buffet, même pas de plats
indiens,
mais seulement des chicken wings étiques et des jus de fruits.
Bref, les
24 heures rêvées…
ais vous êtes Jean-Pierre Jumez ?
C’est le chef
d’escale d’Air France.
Qu’est-ce que vous foutez ici ?
Je suis attendu à Khartoum demain pour un
concert dans le Grand Hall du Peuple.
Mais vous savez que les vols pour le Soudan
sont perturbés, car les Américains viennent de lancer des
bombardements ?
Quelle bonne nouvelle vous m’annoncez
là !
Si vous voulez, il me reste une place sur mon
vol pour Paris qui décolle dans 5 heures.
Ben… ma conscience professionnelle me force à
prendre tous les risques pour honorer mon engagement.
Comme vous voulez ! Bonne nuit quand
même !
Le bal des
correspondances
Évidemment, le doute
s’instille rapidement dans mon esprit, d’autant que ces hordes de
pèlerins
annoncent clairement que, même assis, je ne pourrai pas fermer l’œil.
Quelques heures plus
tard :
Je vous ai gardé la place au chaud, et c’est
la seule qui reste sur mon vol pour Paris…
Quelques heures plus
tard, à ma grande honte, c’est devant une coupe de champagne que je
suis
assailli de remords…
Mais deux mois plus
tard, j’ai pu enfin honorer mes engagements à Addis-Abeba et à Khartoum.
La poursuite de
l’astre ne s’est, après tout, pas soldée par un désastre…
C’est tentant, mais
il y a peu de chance pour que j’atteigne Addis Abeba le
lendemain. Je
décline.
A 7 h, bruit
rassurant de réacteurs à l’approche. Mais l’espoir est de courte
durée :
après une apparition fantomatique, l’avion remet les gaz et s’éloigne
en
direction de l’Éthiopie …sans moi.
Catastrophe !
Comment diable m’évader de Kigali ? Premier vol affiché :
dans 48
heures, SABENA (la compagnie belge), rejoindra Djeddah, en Arabie
Saoudite.
C’est évidemment
trop tard pour le concert en Éthiopie, mais, via Djeddah, je peux
espérer me
présenter à temps à Khartoum, pour le dernier concert de la tournée,
car je
vois qu’il existe une correspondance, après un arrêt de 24 heures. Je
peux donc
espérer ne pas poser de lapin aux jeunes Soudanais.
Afin de pouvoir me
relaxer dans un hôtel de Djeddah, me reste à demander un visa de
transit pour
l’Arabie saoudite, dont le consul était justement à mon concert.
Accordé
sur-le-champ.
J’embarque donc en
toute confiance dans l’aéronef belge. Mais avant l’atterrissage à
Djeddah : « Chers passagers, nous vous rappelons que
les
autorités saoudiennes emprisonnent systématiquement toute personne en
possession d’alcool ». L’annonce a le mérite d’être
claire.
Accablé, je réclame un décapsuleur et rejoins les toilettes, précédé de
mon
tintement héraldique…
À Djeddah, les
douaniers reniflent longuement les bouteilles, font appel à leur
hiérarchie
qui, d’un œil suspicieux, fait jeter les précieuses bouteilles par des
employés
noirs, mais me laisse passer… vers la salle de transit.
Mais j’ai un visa, je veux sortir et
dormir dans un hôtel, sacré nom d’Allah !
Transit visa = transit lounge.
La salle de transit
est
équipée d’une série de bancs, spécialement étudiés pour qu’on ne puisse
pas s’y
allonger. Elle est remplie d’une foule de Pakistanais en djellaba qui
se
rendent au pèlerinage. Quant au seul buffet, même pas de plats
indiens,
mais seulement des chicken wings étiques et des jus de fruits.
Bref, les
24 heures rêvées…
ais vous êtes Jean-Pierre Jumez ?
C’est le chef
d’escale d’Air France.
Qu’est-ce que vous foutez ici ?
Je suis attendu à Khartoum demain pour un
concert dans le Grand Hall du Peuple.
Mais vous savez que les vols pour le Soudan
sont perturbés, car les Américains viennent de lancer des
bombardements ?
Quelle bonne nouvelle vous m’annoncez
là !
Si vous voulez, il me reste une place sur mon
vol pour Paris qui décolle dans 5 heures.
Ben… ma conscience professionnelle me force à
prendre tous les risques pour honorer mon engagement.
Comme vous voulez ! Bonne nuit quand
même !
Le bal des
correspondances
Évidemment, le doute
s’instille rapidement dans mon esprit, d’autant que ces hordes de
pèlerins
annoncent clairement que, même assis, je ne pourrai pas fermer l’œil.
Quelques heures plus
tard :
Je vous ai gardé la place au chaud, et c’est
la seule qui reste sur mon vol pour Paris…
Quelques heures plus
tard, à ma grande honte, c’est devant une coupe de champagne que je
suis
assailli de remords…
Mais deux mois plus
tard, j’ai pu enfin honorer mes engagements à Addis-Abeba et à Khartoum.
La poursuite de
l’astre ne s’est, après tout, pas soldée par un désastre…
h du matin, je
découvre un aéroport enveloppé d’une épaisse nappe de brouillard. C’est
très
beau mais évidemment inquiétant. Le représentant d’Ethiopian est
formel : « Je vous garantis que notre avion va atterrir ».
Simultanément, un personnage en costume cravate, comprenant le dilemme
auquel
je suis confronté (je suis le seul volontaire pour ce vol), me
lance :
« Je suis le ministre de la Santé ; je me rends à
Kampala. Si
vous voulez, je vous propose une place dans mon avion officiel ;
de
l’Ouganda, vous trouverez forcément une correspondance ».
C’est tentant, mais
il y a peu de chance pour que j’atteigne Addis Abeba le
lendemain. Je
décline.
A 7 h, bruit
rassurant de réacteurs à l’approche. Mais l’espoir est de courte
durée :
après une apparition fantomatique, l’avion remet les gaz et s’éloigne
en
direction de l’Éthiopie …sans moi.
|
Une apparition fantomatique
|
Catastrophe !
Comment diable m’évader de Kigali ? Premier vol affiché :
dans 48
heures, SABENA (la compagnie belge), rejoindra Djeddah, en Arabie
Saoudite.
C’est évidemment
trop tard pour le concert en Éthiopie, mais, via Djeddah, je peux
espérer me
présenter à temps à Khartoum, pour le dernier concert de la tournée,
car je
vois qu’il existe une correspondance, après un arrêt de 24 heures. Je
peux donc
espérer ne pas poser de lapin aux jeunes Soudanais.
Afin de pouvoir me
relaxer dans un hôtel de Djeddah, me reste à demander un visa de
transit pour
l’Arabie saoudite, dont le consul était justement à mon concert.
Accordé
sur-le-champ.
J’embarque donc en
toute confiance dans l’aéronef belge. Mais avant l’atterrissage à
Djeddah : « Chers passagers, nous vous rappelons que
les
autorités saoudiennes emprisonnent systématiquement toute personne en
possession d’alcool ». L’annonce a le mérite d’être
claire.
Accablé, je réclame un décapsuleur et rejoins les toilettes, précédé de
mon
tintement héraldique…
À Djeddah, les
douaniers reniflent longuement les bouteilles, font appel à leur
hiérarchie
qui, d’un œil suspicieux, fait jeter les précieuses bouteilles par des
employés
noirs, mais me laisse passer… vers la salle de transit.
Mais j’ai un visa, je veux sortir et
dormir dans un hôtel, sacré nom d’Allah !
Transit visa = transit lounge.
La salle de transit
est équipée d’une série de bancs, spécialement étudiés pour qu’on ne
puisse pas
s’y allonger. Elle est remplie d’une foule de Pakistanais en djellaba
qui se
rendent au pèlerinage. Quant au seul buffet, même pas de plats
indiens,
mais seulement des chicken wings étiques et des jus de fruits.
Bref, les
24 heures rêvées…
ais vous êtes Jean-Pierre Jumez ?
C’est le chef
d’escale d’Air France.
Qu’est-ce que vous foutez ici ?
Je suis attendu à Khartoum demain pour un
concert dans le Grand Hall du Peuple.
Mais vous savez que les vols pour le Soudan
sont perturbés, car les Américains viennent de lancer des
bombardements ?
Quelle bonne nouvelle vous m’annoncez
là !
Si vous voulez, il me reste une place sur mon
vol pour Paris qui décolle dans 5 heures.
Ben… ma conscience professionnelle me force à
prendre tous les risques pour honorer mon engagement.
Comme vous voulez ! Bonne nuit quand
même !
Le bal des
correspondances
Évidemment, le doute
s’instille rapidement dans mon esprit, d’autant que ces hordes de
pèlerins
annoncent clairement que, même assis, je ne pourrai pas fermer l’œil.
Quelques heures plus
tard :
Je vous ai gardé la place au chaud, et c’est
la seule qui reste sur mon vol pour Paris…
Quelques heures plus
tard, à ma grande honte, c’est devant une coupe de champagne que je
suis
assailli de remords…
Mais deux mois plus
tard, j’ai pu enfin honorer mes engagements à Addis-Abeba et à Khartoum.
La poursuite de
l’astre ne s’est, après tout, pas soldée par un désastre…