ANAMNÈSE #27 – Comète
Récit inspiré de faits réels et de cénosillicaphobie
 

TEMPS DE DÉGUSTATION : comptez 3 minutes

Jean-Pierre_Jumez


Jean-Pierre_Jumez
Jean-Pierre_Jumez

Paris, mars 1986

 

Depuis quelques mois, les manchettes de journaux ne cessent de le clamer : la fameuse comète de Halley stationnera en avril au plus près de la Terre. Le précèdent passage remontait à 1910, et le prochain est annoncé pour 2061.

Diantre ! 2061 ? Considérant que seul mon optimisme est immortel, il y a urgence à vivre ce moment historique. D’ailleurs, où est-il donc visible, cet aérolite ? Tout simplement au… Botswana. Autrement dit, la porte à côté !

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Qu’à cela ne tienne : le Botswana ou le Pas-de-Calais, ce n’est qu’une question de kilomètres. Donc, chaussons nos bottes de sept lieues et allons-y gaiement : !

Ma guitare sera mon agence de voyage : via la valise diplomatique (au quai d’Orsay), j’adresse mon fascicule -- honteusement mercantile -- aux différentes ambassades des étapes qui m’intéressent.

brochure_Jumez_1

brochure_Jumez_2

Info…

ou intox ?


Dans une courte missive, je leur tins à peu près ce langage :

« Monsieur le conseiller culturel,

Pour votre information, je séjournerai dans votre pays de résidence entre le lundi xxx (atterrissage prévu à xxx) et le mercredi xxx (décollage prévu à xxx).

Vous saisirez l’immense opportunité que représente mon passage ! Je vous propose donc d’organiser, avec des acteurs locaux si nécessaire, un concert le mardi xxx à xxx heures. Mon cachet s’élèvera à xxx francs. »

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Bien vite, je reçois par télex les invitations officielles pour des représentations au Zimbabwe, en Zambie, au Swaziland, au Malawi, en Namibie, au Rwanda, au Congo puis, en rentrant, au Soudan et en Éthiopie, le point de retour étant évidemment le Botswana, la contrée la plus rapprochée de l’astéroïde.

Charge à l’agence UTA (qui dessert l’Afrique à l’époque) d’organiser le périple aérien.

Pour la première étape, l’atterrissage est prévu à midi à Johannesburg, pour un premier concert à 19 h à Gaborone (la capitale du Botswana, à 4 heures de route)). Sur le papier, c’est jouable, en louant une voiture à l’aéroport de Johannesburg. Mais la fatigue ? Petit coup de fil à l’une de mes groupies, Edith, chef des relations publiques de la compagnie, qui, dans l’intérêt de la musique, me surclasse de manière à ce que je puisse dormir pendant les 11 heures de vol.

Tout se déroule comme prévu : arrivée à Gaborone à 17 h, via à une voiture de location happée à Johannesburg. Seul incident notable : accident de voiture à un carrefour, où le premier feu rouge du pays vient d’être mis en service. Mais, comme personne n’en comprend la signification, les accrochages s’y multiplient. Cela n’empêche que le concert se déroule en temps et en heure.


L'épidémie de guitare s'étend à l'Afrique

Jean-Pierre_Jumez

Dîner à la résidence de l’ambassadeur et dodo : la comète, ce sera pour demain.

Journée bien remplie par différentes animations dans les établissements scolaires locaux. Et le soir, direction le désert, aux portes de Gaborone, pour contempler le spectacle d’une voie lactée phosphorescente, effectivement maculée d’une tache luminescente nommée Halley. Euh, franchement, le spectacle n’est pas inoubliable mais bon, compter parmi les happy few est une consolation.

Halley

Halley-y !

Il faut maintenant assurer la tournée, soit par avion, soit en voiture (les locations sont très bien organisées dans cette partie de l’Afrique).

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Mais ce voyage aura aussi son utilité : il permettra d’enrichir la collection d’étiquettes de bières – bières QU’IL A BUES -- de mon père, tégestophile invétéré. Autrement dit, il faut lui rapporter des bouteilles pleines, et surtout pas les seules étiquettes. Ainsi, pour le reste du voyage, en plus de ma guitare, je serai harnaché d’une sacoche agrémentée d’un tintinnabulement éloquent.

 






Botswana :

Dans les bars de Gaborone !

Burundi :

Dans les bars de Bujumbura

Congo :

Sans la livraison quotidienne de Primus, révolution assurée !

Malawi :

Dans les bars de Lilongwe

Namibie :

Dans les bars de Windhoek






Rwanda :

Dans les bars de Kigali

Afrique du Sud :

Dans les bars de Johannesburg

Swaziland :

Dans les bars de Mbabane

 

Zimbabwe :

Dans les bars de Harare

 

Zambie :

Dans les bars de Lusaka


 

Dans les tribus de la région :

Bières fermentées à la salive

 


Jean-Pierre_Jumez

Tout se passe bien jusqu’à Kigali, au Rwanda, duquel l’avion d’Ethiopian Airlines doit me propulser à Addis Abeba, pour un concert prévu le lendemain.

A 5 h du matin, je découvre un aéroport envoloppé d'une épaisse nappe de brouillard. C'est très beau, mais, évidemment, c'est inquiétant. Le représentant d'Ethiopian est formel: "Je vous garantis que notre avion assurera l'escale". Simultanément, un personnage en costume cravate, comprenant la situation angoissante du seul volontaire sur ce vol, me lance: "Je suis le ministre de la Santé; je me rends à Kampala avec mon avion officiel. Venez avec moi ; de l'Ouganda, vous trouverez forcément une correspondance".

C'est tentant, mis il n'y a aucune chance que j'atteigne Addis Abeba le lendemain. Je décline donc.

Jean-Pierre_Jumez

A 7 h, bruit rassurant de réacteurs à l'approche. Mais l'espoir est de courte durée: après une apparition fantomatique, le jet remet les gaz et reprend la direction de l'Ethiopie... sans moi.

Une apparitioin fantomatique


Catastrophe! Comment diable m'évader de Kigali ? Prochain vol affiché : SABENA (la compagnie belge) rejoindra Djeddah, en Arabie Saoudite, dans... 48 heures.

C'est bien sûr trop tard pour le concert d'Addis Abeba, mais, via Djeddah, je puis espérer me présenter à temps à Khartoum, pour le dernier concert de la tournée, car je vois qu'il existe une correspondance, après une escale de 24 heures dans l'aéroport saoudien. il m'est donc permis d'espérer ne  pas poser un lapin au jeune public Soudanais.

Jean-Pierre_Jumez

Afin de pouvoir me reposer dans un hôtel de Djeddah, me reste à demander un visa de transit pour l'Arabie Saoudite, dont le consul était justement à mon concert. Accordé sur le champ.

J"embarque donc en toute confiance dans l'aéronef belge. Mais avant l'atterrissage une voix grésillante lance dans les haut-parleurs: "Chers passagers, nous vous rappelons que les autorités saoudiennes emprisonnent toute personne en possession d'une boisson alcoolisée". Il est vrai que sur terre, les sourates dénoncent le vin comme étant une affaire du Diable, mais que le vin est mentiionné dans le Coran comme récompense pour les musulmans une fois au paradis..

L'annonce a au moins le mérite d'être claire. Accablé, je réclame un décapsuleur et rejoins les toilettes, toujours précédé du tintement héraldique de ma sacoche.

Jean-Pierre_Jumez

À Djeddah, les douaniers sont soupçonneux. Ils appellent un officier supérieur qui renifle longuement mes bouteilles vides. C'est presque à regret qu'il m'autorise le passage, mais fait jeter les précieux flacons par des employés noirs. Courroucé, il me désigne la salle transit.

- J'ai un visa, je peux donc sortir et dormir dans un hôtel, sacré nom d'Allah !

- Transit visa = transit lounge, Sir. No choice !

Jean-Pierre_Jumez


La salle de transit est équipée d'une série de bancs spécialement étudiés pour empêcher toute possibilité de s'y allonger. Une foule de pélerins pakistanais revêtus de djellabas blanches occupe pratiquement tous les sièges. Quant au seul buffet, même pas de plats indiens, mais seulement des chicken wings étiques et des jus de fruits. Bref, une promesse de 24 heures de rêve.dans cette soue surpeuplée.

24 heures en bonne compagnie

Jean-Pierre_Jumez


- Mais qui vois-je : Jean-Pierre Jumez en personne !

C'est le chef d'escale d'Air France.

- Qu'est-ce que vous foutez ici ?

- Je suis attendu à Khartoum demain pour un concert dans le Grand Hall du Peuple.

- Khartoum ? Mais vous êtes au courant que les vols pour le Soudan sont perturbés car les Américains viennent de lancer des bombardements?

- Quelle bonne nouvelle vous m'annoncez là !

- Je vous signale qu'il me reste une seule place pour mon prochain vol pour Paris, qui décolle dans cinq heures.

- Ben... ma conscience professionnelle me dicte de prendre tous les risques pour honorer mes engagements.

- Comme vous voudrez. Bonne nuit quant même !


Le bal des correspondances

Jean-Pierre_Jumez


Évidemment, le doute s'instille rapidement dans mon esprit, d'autant que ces hordes annoncent clairement qui, même assis, je ne pourrai pas fermer l'oeil.



Quelques heures plus tard, le chef d'escale insiste :

- On embarque dans quinze minutes ; la place, je vous l'ai gardée au chaud.

Jean-Pierre_Jumez


Un moment plus tard, à ma grande honte, c'est devant une coupe de champagne que je suis assailli de remords.


Les larmes de la culpabilité


Jean-Pierre_Jumez


Mais deux mois plus tard, j'ai pu enfin honorer mes engagements à Addis Abeba et à Khartoum.


Jean-Pierre_Jumez


La poursuite de l'astre ne s'est, après tout, pas soldée par un désastre.


Jean-Pierre_Jumez
Jean-Pierre_Jumez

Jean-Pierre  Jumez h du matin, je découvre un aéroport enveloppé d’une épaisse nappe de brouillard. C’est très beau mais évidemment inquiétant.  Le représentant d’Ethiopian est formel : « Je vous garantis que notre avion va atterrir ». Simultanément, un personnage en costume cravate, comprenant le dilemme auquel je suis confronté (je suis le seul volontaire pour ce vol), me lance : « Je suis le ministre de la Santé ; je me rends à Kampala. Si vous voulez, je vous propose une place dans mon avion officiel ; de l’Ouganda, vous trouverez forcément une correspondance ».

C’est tentant, mais il y a peu de chance pour que j’atteigne Addis Abeba le lendemain.  Je décline.

A 7 h, bruit rassurant de réacteurs à l’approche. Mais l’espoir est de courte durée : après une apparition fantomatique, l’avion remet les gaz et s’éloigne en direction de l’Éthiopie …sans moi.

Une apparition fantomatique
















 

Catastrophe ! Comment diable m’évader de Kigali ? Premier vol affiché : dans 48 heures, SABENA (la compagnie belge), rejoindra Djeddah, en Arabie Saoudite.

C’est évidemment trop tard pour le concert en Éthiopie, mais, via Djeddah, je peux espérer me présenter à temps à Khartoum, pour le dernier concert de la tournée, car je vois qu’il existe une correspondance, après un arrêt de 24 heures. Je peux donc espérer ne pas poser de lapin aux jeunes Soudanais.

Afin de pouvoir me relaxer dans un hôtel de Djeddah, me reste à demander un visa de transit pour l’Arabie saoudite, dont le consul était justement à mon concert. Accordé sur-le-champ.

J’embarque donc en toute confiance dans l’aéronef belge.  Mais avant l’atterrissage à Djeddah : « Chers passagers, nous vous rappelons que les autorités saoudiennes emprisonnent systématiquement toute personne en possession d’alcool ». L’annonce a le mérite d’être claire. Accablé, je réclame un décapsuleur et rejoins les toilettes, précédé de mon tintement héraldique…

À Djeddah, les douaniers reniflent longuement les bouteilles, font appel à leur hiérarchie qui, d’un œil suspicieux, fait jeter les précieuses bouteilles par des employés noirs, mais me laisse passer…  vers la salle de transit.

 Mais j’ai un visa, je veux sortir et dormir dans un hôtel, sacré nom d’Allah !

Transit visa = transit lounge.

La salle de transit est équipée d’une série de bancs, spécialement étudiés pour qu’on ne puisse pas s’y allonger. Elle est remplie d’une foule de Pakistanais en djellaba qui se rendent au pèlerinage. Quant au seul  buffet, même pas de plats indiens, mais seulement des chicken wings étiques et des jus de fruits. Bref, les 24 heures rêvées…

ais vous êtes Jean-Pierre Jumez ?

C’est le chef d’escale d’Air France.

Qu’est-ce que vous foutez ici ?

Je suis attendu à Khartoum demain pour un concert dans le Grand Hall du Peuple.

Mais vous savez que les vols pour le Soudan sont perturbés, car les Américains viennent de lancer des bombardements ?

Quelle bonne nouvelle vous m’annoncez là !

Si vous voulez, il me reste une place sur mon vol pour Paris qui décolle dans 5 heures.

Ben… ma conscience professionnelle me force à prendre tous les risques pour honorer mon engagement.

Comme vous voulez ! Bonne nuit quand même !

Le bal des correspondances

Évidemment, le doute s’instille rapidement dans mon esprit, d’autant que ces hordes de pèlerins annoncent clairement que, même assis, je ne pourrai pas fermer l’œil.

 

Quelques heures plus tard :

Je vous ai gardé la place au chaud, et c’est la seule qui reste sur mon vol pour Paris…

 

Quelques heures plus tard, à ma grande honte, c’est devant une coupe de champagne que je suis assailli de remords…

 

Mais deux mois plus tard, j’ai pu enfin honorer mes engagements à Addis-Abeba et à Khartoum.

La poursuite de l’astre ne s’est, après tout, pas soldée par un désastre…

C’est tentant, mais il y a peu de chance pour que j’atteigne Addis Abeba le lendemain.  Je décline.

A 7 h, bruit rassurant de réacteurs à l’approche. Mais l’espoir est de courte durée : après une apparition fantomatique, l’avion remet les gaz et s’éloigne en direction de l’Éthiopie …sans moi.

 

Catastrophe ! Comment diable m’évader de Kigali ? Premier vol affiché : dans 48 heures, SABENA (la compagnie belge), rejoindra Djeddah, en Arabie Saoudite.

C’est évidemment trop tard pour le concert en Éthiopie, mais, via Djeddah, je peux espérer me présenter à temps à Khartoum, pour le dernier concert de la tournée, car je vois qu’il existe une correspondance, après un arrêt de 24 heures. Je peux donc espérer ne pas poser de lapin aux jeunes Soudanais.

Afin de pouvoir me relaxer dans un hôtel de Djeddah, me reste à demander un visa de transit pour l’Arabie saoudite, dont le consul était justement à mon concert. Accordé sur-le-champ.

J’embarque donc en toute confiance dans l’aéronef belge.  Mais avant l’atterrissage à Djeddah : « Chers passagers, nous vous rappelons que les autorités saoudiennes emprisonnent systématiquement toute personne en possession d’alcool ». L’annonce a le mérite d’être claire. Accablé, je réclame un décapsuleur et rejoins les toilettes, précédé de mon tintement héraldique…

À Djeddah, les douaniers reniflent longuement les bouteilles, font appel à leur hiérarchie qui, d’un œil suspicieux, fait jeter les précieuses bouteilles par des employés noirs, mais me laisse passer…  vers la salle de transit.

 Mais j’ai un visa, je veux sortir et dormir dans un hôtel, sacré nom d’Allah !

Transit visa = transit lounge.

La salle de transit est équipée d’une série de bancs, spécialement étudiés pour qu’on ne puisse pas s’y allonger. Elle est remplie d’une foule de Pakistanais en djellaba qui se rendent au pèlerinage. Quant au seul  buffet, même pas de plats indiens, mais seulement des chicken wings étiques et des jus de fruits. Bref, les 24 heures rêvées…

ais vous êtes Jean-Pierre Jumez ?

C’est le chef d’escale d’Air France.

Qu’est-ce que vous foutez ici ?

Je suis attendu à Khartoum demain pour un concert dans le Grand Hall du Peuple.

Mais vous savez que les vols pour le Soudan sont perturbés, car les Américains viennent de lancer des bombardements ?

Quelle bonne nouvelle vous m’annoncez là !

Si vous voulez, il me reste une place sur mon vol pour Paris qui décolle dans 5 heures.

Ben… ma conscience professionnelle me force à prendre tous les risques pour honorer mon engagement.

Comme vous voulez ! Bonne nuit quand même !

Le bal des correspondances

Évidemment, le doute s’instille rapidement dans mon esprit, d’autant que ces hordes de pèlerins annoncent clairement que, même assis, je ne pourrai pas fermer l’œil.

 

Quelques heures plus tard :

Je vous ai gardé la place au chaud, et c’est la seule qui reste sur mon vol pour Paris…

 

Quelques heures plus tard, à ma grande honte, c’est devant une coupe de champagne que je suis assailli de remords…

 

Mais deux mois plus tard, j’ai pu enfin honorer mes engagements à Addis-Abeba et à Khartoum.

La poursuite de l’astre ne s’est, après tout, pas soldée par un désastre…

 h du matin, je découvre un aéroport enveloppé d’une épaisse nappe de brouillard. C’est très beau mais évidemment inquiétant.  Le représentant d’Ethiopian est formel : « Je vous garantis que notre avion va atterrir ». Simultanément, un personnage en costume cravate, comprenant le dilemme auquel je suis confronté (je suis le seul volontaire pour ce vol), me lance : « Je suis le ministre de la Santé ; je me rends à Kampala. Si vous voulez, je vous propose une place dans mon avion officiel ; de l’Ouganda, vous trouverez forcément une correspondance ».

C’est tentant, mais il y a peu de chance pour que j’atteigne Addis Abeba le lendemain.  Je décline.

A 7 h, bruit rassurant de réacteurs à l’approche. Mais l’espoir est de courte durée : après une apparition fantomatique, l’avion remet les gaz et s’éloigne en direction de l’Éthiopie …sans moi.

 

Catastrophe ! Comment diable m’évader de Kigali ? Premier vol affiché : dans 48 heures, SABENA (la compagnie belge), rejoindra Djeddah, en Arabie Saoudite.

C’est évidemment trop tard pour le concert en Éthiopie, mais, via Djeddah, je peux espérer me présenter à temps à Khartoum, pour le dernier concert de la tournée, car je vois qu’il existe une correspondance, après un arrêt de 24 heures. Je peux donc espérer ne pas poser de lapin aux jeunes Soudanais.

Afin de pouvoir me relaxer dans un hôtel de Djeddah, me reste à demander un visa de transit pour l’Arabie saoudite, dont le consul était justement à mon concert. Accordé sur-le-champ.

J’embarque donc en toute confiance dans l’aéronef belge.  Mais avant l’atterrissage à Djeddah : « Chers passagers, nous vous rappelons que les autorités saoudiennes emprisonnent systématiquement toute personne en possession d’alcool ». L’annonce a le mérite d’être claire. Accablé, je réclame un décapsuleur et rejoins les toilettes, précédé de mon tintement héraldique…

À Djeddah, les douaniers reniflent longuement les bouteilles, font appel à leur hiérarchie qui, d’un œil suspicieux, fait jeter les précieuses bouteilles par des employés noirs, mais me laisse passer…  vers la salle de transit.

 Mais j’ai un visa, je veux sortir et dormir dans un hôtel, sacré nom d’Allah !

Transit visa = transit lounge.

La salle de transit est équipée d’une série de bancs, spécialement étudiés pour qu’on ne puisse pas s’y allonger. Elle est remplie d’une foule de Pakistanais en djellaba qui se rendent au pèlerinage. Quant au seul  buffet, même pas de plats indiens, mais seulement des chicken wings étiques et des jus de fruits. Bref, les 24 heures rêvées…

ais vous êtes Jean-Pierre Jumez ?

C’est le chef d’escale d’Air France.

Qu’est-ce que vous foutez ici ?

Je suis attendu à Khartoum demain pour un concert dans le Grand Hall du Peuple.

Mais vous savez que les vols pour le Soudan sont perturbés, car les Américains viennent de lancer des bombardements ?

Quelle bonne nouvelle vous m’annoncez là !

Si vous voulez, il me reste une place sur mon vol pour Paris qui décolle dans 5 heures.

Ben… ma conscience professionnelle me force à prendre tous les risques pour honorer mon engagement.

Comme vous voulez ! Bonne nuit quand même !

Le bal des correspondances

Évidemment, le doute s’instille rapidement dans mon esprit, d’autant que ces hordes de pèlerins annoncent clairement que, même assis, je ne pourrai pas fermer l’œil.

 

Quelques heures plus tard :

Je vous ai gardé la place au chaud, et c’est la seule qui reste sur mon vol pour Paris…

 

Quelques heures plus tard, à ma grande honte, c’est devant une coupe de champagne que je suis assailli de remords…

 

Mais deux mois plus tard, j’ai pu enfin honorer mes engagements à Addis-Abeba et à Khartoum.

La poursuite de l’astre ne s’est, après tout, pas soldée par un désastre…